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Interview de Yohan Cazaux (promotion 2007) Lead Projects Game Designer sur Assassin’s Creed
1) Yohan, tu es diplômé de Rubika Jeu Vidéo (Supinfogame à l’époque), promotion 2007. Quel a été ton parcours professionnel depuis la sortie de l’école ?
En sortant de l’école, j’ai intégré le laboratoire de recherche utilisateur d’Ubisoft à Paris pour mon stage de fin d’étude, et j’y ai finalement passé un peu plus de 2 ans en tant que coordinateur de test. Ensuite j’ai rejoint le département Éditorial en tant que Game Content Manager de la marque Assassin’s Creed pendant 2 ans et demi, pour finalement rejoindre la production au sein du studio de Montréal début 2012. J’ai été Game Designer sur Assassin’s Creed 4 : Black Flag, Senior Game Designer sur Assassin’s Creed Origins et enfin Project Lead Game Design sur Assassin’s Creed Valhalla.
2) Peux-tu nous expliquer le métier de Game Designer en quelques mots ?
Un(e) Game Designer est la personne qui va être en charge d’imaginer et concevoir les différents systèmes et règles de jeu, les interactions proposées aux joueurs qui vont venir réaliser la vision créative. Il faut ensuite veiller à leur bon développement et à leur qualité durant la production aux côtés des artistes et programmeurs qui vont leur donner vie.
3) Tu as travaillé sur le nouvel Assassin’s Creed Valhalla, qui est sorti le 10 novembre. Quelles ont été tes principales missions au sein de la production ?
En tant que Lead Project Game Design, j’ai eu 3 grandes missions :
- Mettre en place notre pipeline de Game Design (comment on va structurer la documentation, son partage, les approbations, la mise à jour des designs tout au long des différentes étapes du projet).
- Travailler aux côtés du Game Director pour traduire la vision créative en features & systèmes de jeu, les reviewer et valider les étapes de qualité (du prototype jusqu’à la version « Gold »). C’est un exercice permanent de remise à plat et priorisation de tout ce que l’équipe est en train de produire.
- Manager l’équipe Game Design du projet, à savoir 10 personnes à Montréal : définir leurs tâches, faire le suivi et l’approbation de leurs propositions Design, la gestion « humaine », et m’assurer de la bonne communication entre toutes les sous-équipes (exemple : Fight, AI, Progression, etc…).
4 ) Quelles sont les spécificités de ce nouvel opus de la saga phare d’Ubisoft ?
Pour ce nouvel opus, notre but était de proposer la meilleure expérience et fantaisie Viking dans un jeu vidéo. Il y a eu tout un travail de recherche et documentation historique réalisé en amont par les équipes Ubisoft afin de comprendre comment vivaient les Vikings, leurs us et coutumes, mais aussi croyances, et manières de combattre. Nous avons donc développé des features qui venaient renforcer cette expérience : les Raids par exemple, qui permettent au joueur d’attaquer des camps et des Monastères avec l’équipage de son bateau; ou encore notre système de combat que nous avons rendu encore plus dynamique, travaillé le feeling des impacts (très important pour souligner la brutalité des combats de l’époque), la diversité des archétypes d’ennemies, et pour lequel nous avons développé le « dual wield » qui laisse les joueurs équiper une arme ou un bouclier dans chaque main.
Mais les Vikings n’étaient pas seulement des guerriers, ils sont venus en Angleterre avec l’espoir de s’installer et prospérer loin des guerres de clans et du rude climat de leurs terres natales. Pour souligner cela, nous avons intégré le « Settlement », qui est le point d’ancrage du clan de Eivor (notre personnage) et donc du joueur en Angleterre. De simple campement au début, le Settlement peut être amélioré et agrandit en y construisant des commerces, des maisons, des décorations à l’aide des ressources que l’on récupère lors des Raids. Il est aussi au cœur de notre nouvelle structure de jeu, plus épisodique car découpée en « Quest Arcs » d’environ 3h de jeu : chaque Arc commence et termine au Settlement, et envoie les joueurs dans un territoire de l’Angleterre afin d’y forger une alliance, avec sa propre histoire et ses personnages qui viennent nourrir la trame principale.
Nous avions aussi à cœur de revisiter des systèmes comme l’exploration afin d’y pousser le sentiment de liberté et découverte; ou la progression pour passer d’un système de loot infini à un système de collection et d’upgrades pour l’équipement, et une évolution du personnage via un gigantesque arbre de compétences.
Enfin, Assassin’s Creed Valhalla marque le retour de ce que nous appelons le « Social Stealth » qui était au cœur des premiers épisodes: la possibilité pour les joueurs de passer inaperçu en se fondant dans la foule, ici grâce à l’utilisation d’une cape et capuche dans les zones où les Vikings sont loin d’être les bienvenus… Une occasion parfaite d’utiliser la lame secrète, elle aussi de retour.
5) Etes-vous à l’écoute de la communauté pour l’évolution du jeu ?
La communauté de nos joueurs est très importante pour nous. Elle est très investie, très proactive et il est donc facile d’avoir une bonne communication et des informations pertinentes. Les feedbacks que nous recevons dès la présentation du jeu, des démos puis ensuite à la sortie nous aiguillent sur les changements à apporter pour améliorer le confort et l’expérience globale. Cela peut aussi bien être via des passes d’équilibrage de difficulté que de nouvelles fonctionnalités.
6) Selon toi, quelles sont les qualités essentielles pour exercer le métier de Game designer et que préfères-tu dans ton métier ?
Pour être un bon Game Designer, il y a à mon sens plusieurs compétences primordiales à maîtriser. Tout d’abord la communication et l’ouverture au dialogue : en tant que Game Designer, on se retrouve un peu chef d’orchestre de l’équipe multidisciplinaire qui va développer nos features. Il est donc extrêmement important de pouvoir exprimer ses idées et pensées de manière claire et structurée, et de pouvoir rallier nos collègues autour de ces idées. On se retrouve également en première ligne des critiques, car nous sommes le « visage » de ces features : il faut apprendre à accepter les retours négatifs sans s’offusquer, réussir à s’en nourrir pour améliorer nos designs et rester positif en tout temps. On a rarement tout juste au premier coup, et un bon jeu prend beaucoup d’itérations pour trouver sa forme.
« Il faut apprendre à accepter les retours négatifs sans s’offusquer, réussir à s’en nourrir pour améliorer nos designs et rester positif en tout temps […] Vos convictions et votre égo risquent de souffrir un peu, mais les leçons tirées seront précieuses. »
Une autre qualité très importante est la capacité à pouvoir se mettre à la place des joueurs que l’on vise. On le répète souvent et en même temps jamais assez : on ne fait pas un jeu pour nous ! Être capable de se projeter dans la peau d’une personne plus ou moins à l’aise que nous avec une manette, qui connait plus ou moins les genres de systèmes de jeu que l’on va proposer, etc… est un énorme atout. On prendra toujours une claque en allant assister aux premiers playtests du jeu, mais elle peut être un peu moins violente si on fait cet effort en amont.
Enfin, avoir un esprit créatif évidemment, et cela peu importe les contraintes avec lesquelles on va devoir travailler.
En ce qui me concerne, la partie que je préfère dans mon métier est la transformation d’une direction créative haut niveau, exprimée en termes de ressentis que l’on va vouloir donner aux joueurs, en première liste de features concrètes. C’est un moment excitant où les idées fusent, on prototype plein de choses et en bout de course la silhouette du jeu commence à se dessiner. Il y a ensuite toute la partie humaine qui vient avec mon poste : guider les gens dans leurs designs, les aider à évoluer et se développer, les soutenir dans les moments difficiles de la production. C’est très gratifiant et enrichissant.
7) Un conseil pour les futurs diplômés de l’école ?
Faites de nombreux jeux, aussi simple soient-ils. Mettez les rapidement dans la main de joueurs et observez en silence. Vos convictions et votre égo risquent de souffrir un peu, mais les leçons tirées seront précieuses 😊