Interview de David DEDEINE (RUBIKA Animation 1997), co-fondateur d’Asobo Studio
David Dedeine est co-fondateur d'Asobo Studio où il a travaillé sur les jeux vidéo "A Plague Tale" et "Microsoft Flight Simulator 2020".
1) Bonjour David, pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel depuis votre sortie de Rubika Animation en 1997 ?
Effectivement, je suis passé par Supinfocom (RUBIKA Animation) en 1997 où j’ai intégré la première promo « Gestion Multimédia ». J’ai rejoint ensuite les équipe de Kalisto Entertainment en tant que Game Designer. En 2002 j’ai cofondé Asobo Studio où je suis aujourd’hui co-gérant et Chief Creative Officer. Ma mission est notamment de superviser le travail des équipes créatives et design. En presque 20 ans, j’ai participé au développement de 24 jeux dont Superfarm, notre premier bébé, puis 5 adaptations de franchises Pixar dont Kinect Rush: A Disney Pixar Adventure, notre première collaboration avec Microsoft.
Nous avons également créé FUEL qui a été récompensé par un Guinness Record en 2009. Nous avons aussi développé les deux premiers jeux de réalité mixte pour HoloLens (Fragments et Young Conker) main dans la main avec Microsoft.
En 2019, notre première aventure originale voit le jour : A Plague Tale: Innocence. Le jeu a notamment été récompensé par un Steam Award et 6 Pégases. Il a été vendu à plus de 1M de copies à ce jour. Nous avons sorti cet été Microsoft Flight Simulator qui compte actuellement plus de 2M de pilotes, qui est à ce jour le meilleur lancement Xbox Game Pass. Flight Simulator a été récompensé aux Pégases 2021 et aux Game Awards, en décembre dernier.
A Plague Tale: Innocence est un jeu vidéo d’action-aventure et d’Infiltration développé par Asobo Studio à Bordeaux, sorti le 14 mai 2019
2) QUELLES SONT LES CONTRAINTES IMPOSÉES PAR LE DÉVELOPPEMENT DE JEUX AYANT UNE APPROCHE DIAMÉTRALEMENT OPPOSÉE (PAR EXEMPLE, PASSER DU DÉVELOPPEMENT D’UN JEU NARRATIF TEL QU’ A PLAGUE TALE: INNOCENCE À CELUI DU DERNIER MICROSOFT FLIGHT SIMULATOR) ?
Notre indépendance nous a en effet offert la chance de travailler sur des projets extrêmement différents. Certaines choses ne changent pas en termes de philosophie de production : par exemple nous essayons le plus souvent d’itérer le plus possible ce qui veut souvent dire « échouer vite pour comprendre plus vite et recommencer ». Ça peut sans doute apparaitre galvaudé, mais nous le faisons vraiment.
D’autres aspects sont totalement différents en fonction des productions. Le sujet implique des approches technologiques spécifiques par projets : on ne fait pas un open world de la taille de la terre comme un jeu narratif linéaire. D’un point de vue créatif je dirais que dans le cas de A Plague Tale il s’agissait d’une page totalement vierge, et dans le cas de Flight Simulator de l’exact opposé : un univers issu du monde réel plus riche et « stricte » que n’importe quel univers inventé.
Dans un cas il y a le vertige de la feuille blanche où il nous a fallu aller chercher au fond de nous-même et parfois dans l’intime, pour que le joueur soit touché et emporté dans l’aventure. Dans l’autre il faut plonger totalement dans un univers pré-existant, qui nous était étranger. Quitte à apprendre à piloter un avion, ce qui nécessite aussi un très haut niveau d’implication des équipes. Dans tous les cas nous essayons d’aborder chacun de ces nouveaux projets comme un défi : avec curiosité, humilité et l’ambition de faire le meilleur jeu possible.
3) Asobo est l’un des premiers studios à avoir créé du contenu pour HoloLens de Microsoft. Quelles ont été les plus gros challenges lors de la production de ces premiers jeux en réalité augmentée ?
Tout était à réinventé car nous accompagnions à cette époque la création du hardware lui-même : le casque HoloLens. Le plus difficile dans ces cas-là, c’est que l’expérience peut être contreproductive. Il faut être capable de changer de schéma mental, d’accepter de repartir de zéro dans quasiment tous les domaines. L’Idée forte du responsable de ce programme chez Microsoft, Kudo Tsunoda, était que « le monde est central à l’expérience ». C’est simple mais très puissant :
1/ tout ce que tu maitrisais avant, c’est à dire qui se passe sur ton écran, donc totalement virtuel, doit désormais se dérouler dans un environnement que tu ne maitrises pas.
2/ plus tu utilises et tires parti de cet environnement non maitrisable dans ton expérience, plus elle est puissante et différente de tout ce qui a été fait avant.
Ça a porté ses fruits sur toute la phase de r&d de ces projets. Puis quand nous avons confronté nos productions aux premiers utilisateurs nous nous sommes rendu compte qu’il fallait également leur apprendre à changer de paradigme de jeu ce qui fut une énorme surprise :
La réalité mixte, en particulier, offre une liberté de mouvement et de regard. Mais nos cerveaux sont habitués à être statique quand il s’agit de « jeux vidéo », à regarder dans une seule direction. Donc les joueurs ne bougeaient pas et regardaient devant eux . Ils ne profitaient donc pas pleinement de l’expérience, voire passaient totalement à côté. Ainsi l’itération sur la base des tests utilisateurs pour améliorer le «onboarding » — la façon d’entrer dans cette expérience utilisateur inédite — fut un axe majeur du développement. Là aussi il faut itérer vite pour re-tester vite afin de pouvoir observer minutieusement les changements de comportements car de petits détails peuvent avoir des effets de bord très spectaculaires.
Microsoft Flight Simulator est un simulateur de vol appartenant à la série Flight Simulator, développé par Asobo Studio sorti le 18 août 2020 sur PC Windows 10.
4 ) Le travail sur MFS est remarquable. Comment s’est déroulée la production de ce nouvel opus et la collaboration avec les équipes de Microsoft ?
Merci ! C’est effectivement une grosse production qui a mobilisé une équipe de 120 personnes chez Asobo. Notre expérience passée commune avec Microsoft est clée car pour un projet aussi ambitieux le travail de nos équipes repose sur une confiance réciproque importante qui se construit dans le temps. C’est un élément important qui ne se décrète pas mais s’est construit pas-à-pas depuis 11 ans.
En termes de développement, il faut comprendre que l’aviation est un monde à la fois très vaste et très profond. Un aéroport a la même complexité intrinsèque qu’une ville. Un simple écran parmi d’autre dans un cockpit est issu d’année de R&D dans la « vraie vie ». Or pour pouvoir le simuler, il faut en comprendre tous les tenants et aboutissants. Le modèle de vol (la façon dont l’avion se comporte dans l’air) implique de simuler la mécanique des fluides sur les surfaces de l’avions. Le monde, c’est-à-dire la planète terre dans sa totalité, a une taille qui dépasse de très loin la capacité de nos cerveaux à se la représenter. Or c’est notre « bac à sable » dans Flight Simulator, nous n’avions pas le choix : il a fallu trouver des moyens de représenter la terre comme personne ne l’avait fait avant et dans sa globalité.
Enfin les technologies nécessaires pour rendre tout ceci possible comme l’utilisation des donnée Bing, le machine Learning, requiert de revoir totalement nos processus de production, de suivi et de QA.
Chacun de ces domaines est potentiellement un puit sans fond de savoir-faire ou de connaissance. Ce fut épique et dans ces cas-là il faut une force collective extraordinaire pour relever tous ces défis car la pression était immense : on ne touche pas à la plus ancienne marque de jeux vidéo de Microsoft sans ce type de pression. Toute l’équipe a été extraordinaire.
5) Comment voyez-vous l’évolution des profils dans le milieu du jeu vidéo ?
Le Jeu Vidéo reste une industrie de passionnés mais on assiste à une professionnalisation croissante des métiers et des talents depuis de nombreuses années. Le niveau technique des jeunes profils que nous recrutons augmente en conséquence. Il est donc encore plus rare qu’avant d’être recruté sans formation préalable. Mais le supplément d’âme reste un critère très important : c’est ce qui permet d’atteindre l’excellence dans une équipe comme la nôtre !
6) Quels conseils donneriez-vous à des étudiant(e)s qui souhaitent intégrer le monde du jeu vidéo ?
Il y a évidemment les prérequis fondamentaux : travailler, être humble et être malin. Mais le jeu vidéo est sur les épaules de tous les autres arts qui l’ont précédé historiquement. La professionnalisation ne doit pas vous formater : la source la plus créative est dans le monde réel. Il faut rester le plus ouvert possible au monde pour faire de beaux projets virtuels !
Faites vivre cet appétit et cette curiosité en vous, elle rejaillira forcement le moment venu ! 😊
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